D'abord, c'est la première fois en 53 années d'existence que quelqu'un très près de moi et que j'aime énormément disparait. Bien sûr, on sait qu'on va tous y passer, etc., mais je n'avais pas réalisé ni anticipé à quel point la douleur pouvait être si intense. Cette douleur submerge, domine, prend possession de votre esprit sans votre permission. Vous ne pouvez pas abandonner, elle vous tient et vous asservi à sa cause, ténébreuse et maléfique. Et si au moins ça ne durait qu’un instant… Non, on est enchainé au temps, qui passe inexorablement, sans qu’une issue puisse apparaitre. Le désespoir est un sentiment dur à porter sur ses épaules, lorsqu’on parcourt un chemin de croix circulaire, où les stations correspondent à des souvenirs de moments passés avec la personne disparue.
Ensuite, j’ai été vraiment étonné de la force curative des mots de réconfort qu’on peut recevoir des amis, connaissances et personnes autour de nous. Même quels mots simples produisent l’effet en question. Et, oh surprise, idem pour les phrase déjà toutes faites d’avance et qu’on entend toujours à ces occasions, du genre “mes sympathies” ou “mes condoléances”. Je ne m’attendais vraiment pas à ça. Je croyais que je serais plutôt sensible aux énoncés plus originaux, plus complexes, plus subtils, mais les petits mots simples et classiques m’ont apporté beaucoup de récomfort. Pourquoi ? Je ne sais pas, mais je risque une explication. Habituellement, les mots transportent une idée, une émotion. Ici, ce n’est pas le cas, ils n’ont aucune importance. Ce qu’ils transportent, c’est l’intention de l’émetteur, sa volonté d’être solidaire et de partager ce fardeau avec nous. Ils ne sont qu’un substrat par dessus lequel va se déposer les vrais éléments de la communication : contact avec les yeux, histoire racontée par la façon dont la poignée de main s’est donnée, les silences parlants, les larmes retenues, les accolades englobantes, etc. Je pense que ce sont ces éléments qui réussissent à réchauffer le coeur, car pour un court moment il y a symbiose entre deux personnes.
Finalement, l’expérience d’entrer dans la demeure de la personne décédé est à la fois terrible et intensément émotive. En tant qu'exécuteur testamentaire, je dois faire l'inventaire de tous ses biens, donc avoir accès à son domicile. Stéphane vivait seul dans sa maison de Loretteville et son décès soudain et absurde a laissé intact tous les éléments et artéfacts de la vie quotidienne. Entrer dans la maison et parcourir les pièces, c’est en réalité faire un voyage sinistre dans un instantanné de la vie de Stéphane pris au moment de son décès. Il est à la fois partout et nul part. Les documents scientifiques laissées sur la table pour lecture, la vaisselle qui sèche sur le comptoir, le carnet de vaccinnation sur la table en préparation à un voyage futur dans le sud, le sac du bureau qui traine dans un coin et prêt à être ouvert, les souliers dans les marches de l’escalier, les restes recyclables du dernier repas dans le container bleu, la brosse à dent qui traine sur le comtoir de la chambre de bain, etc. Chaque élément nous force à le croire vivant, avec nous, et on veut vraiment y croire. On est comme dans un village fantôme, mais avec une présence humaine beaucoup plus impreignée et envahissante. C’est ce contraste qui prend aux trippes, celui entre le discours rassurant des artéfacts et la connaissance douloureuse de la réalité de sa mort.
Voyons la suite des choses...